Véronique Louwagie : L’État et ses consultants
Les habitants de l’Orne (61) connaissent bien la député Véronique Louwagie. Disponible, travailleuse et créative. Elle a instauré un Conseil de Circonscription local pour consulter les citoyens sur les lois à venir. Parfois il est plus efficace de regarder les « directs » de l’Assemblée nationale que les news redondantes et stressantes. C’est ce que j’ai fait ce 11 février 2021 où Véronique Louwagie présentait une communication très remarquée et applaudie. Elle a lu et décortiqué 350 pages sur le recours aux consultants extérieurs par le Ministère de la Santé et en a tiré des conclusions. Sept cabinets ont obtenu des sommes importantes dévoilées par la mission en toute transparence : 3.289.700 euros pour MacKinsey, plusieurs centaines de milliers d‘euros pour CITWELL (les masques), Roland Berger, Accenture (vaccination). Ce qui devrait être banal, le contrôle de l’action du gouvernement, prend l’allure d’exception. Nous avons interrogé Véronique Louwagie sur ses méthodes et ses futurs projets à l’Assemblée nationale.
La Mission
JL Une mission de rapporteure spéciale Santé vous a été attribuée. Quelle légitimité a une député?
VL Dans les lois de finances, dans le budget de l’état, il y a un certain nombre de missions qui comprennent les credits budgétaires et permettent d’établir une comptabilité analytique. Le budget de l’état est décomposé en missions, et je suis rapporteure spéciale de la mission Santé, une petite mission au niveau budgétaire, par rapport à d’autres missions, (éducation nationale, Défense) nommée par la Commission des finances depuis 2017. Il y a plusieurs programmes notamment un programme qui traite de la prévention et protection des populations, et à ce titre un certain nombre de dépenses liées à la crise COVID 19. Nous pouvons mener nos travaux comme nous l’entendons et je me suis intéressé aux dépenses liées aux contrats. A l’Assemblée nationale il y avait une mission d’information sur l’épidémie de Coronavirus. Mais il y a été mis fin de façon brutale par la majorité. Je l’ai mené, au nom de la transparence et du contrôle parlementaire qui est le nôtre. Quand on est rapporteur spécial on intervient deux moments cruciaux. de l’année, automne et printemps, pour faire un examen des credits budgétaires affectés en avril mai 2021. J’ai conduit des travaux sur l’exécution des travaux 2020.
“Sonner l’alarme”
JL J’ai été informée de votre travail par un article en anglais de Politico, où vous disiez vouloir « sonner l’alarme » sur les consultations qui se superposent à des postes de fonctionnaires de l’administration.
VL Quand j’ai décidé de reconduire ces travaux j’ai demandé le 19 Janvier au Ministre de la Santé que me soient communiqués les différents contrats passés par le Ministère et que j’ai obtenu sans difficulté dans les délais souhaités le 26 janvier. Je les ai analysés, je les ai lus, je les ai décortiqués, 350 pages de commandes, de propositions par les cabinets conseils et c’est à la lecture de ces contrats en découvrant les dates des commandes, solutions proposées, la nature et fréquence des missions, leur durée que je me suis fait une opinion sur la manière dont les cabinets conseil sont intervenus.
Je ne suis pas farouchement opposée aux consultations, — certains de mes collègues le sont — mais sous plusieurs conditions. S’assurer préalablement qu’il y a eu un recensement très exhaustif de tous les moyens humains détenus par les Ministères en interne, au sein de la fonction publique. Y-a-t-il eu un recensement exhaustif au niveau du Ministère de la Santé? Au niveau interministériel? Sur la commande, la logistique nous avons des Ministères capables de le faire, je pense au Ministère des Armées. Des questions essentielles préalables. On ne peut admettre d’avoir recours à des cabinets de conseil que lorsqu’ils apportent une valeur ajoutée. Mais quand ils interviennent pour suppléer des carences sur des missions et compétences de base, des aspects fonctionnels et opérationnels, ils n’ont pas à intervenir. Je constate une perte de compétence en interne qui m’interpelle.
Une nouvelle mission d’information
JL Vous avez mentionné lors de votre communication à l’Assemblée nationale, la perte de savoir-faire. Avez-vous interrogé le Ministère de laSanté?Pourquoi pas l’Armée en appui à la logistique plutôt qu’un cabinet extérieur?
VL Il y a eu des corps d’inspection et des militaires qui ont rejoint la cellule de crise mais pas sûr qu’il y ait eu un recensement exhaustif. Il faudrait le savoir.Nous les députés nous ne procédons pas assez à ce travail de contrôle parlementaire. Nous avons une première mission d’amender et de voter les textes de loi . Une seconde mission qui est un contrôle de l’action de l’état, dont on ne se saisit pas suffisamment. Je vais présider une mission d’information sur l’outsourcing, sur les opérations contractualisées par l’état avec des cabinets de conseil pour faire un état des lieux et des propositions sur le sujet, un champ plus large que celui de la Santé, ce qui aura un intérêt certain.
JL Vous avez crée un Conseil de circonscription pour demander l’avis des citoyens sur le territoire.
VL Au-delà de ce conseil de circonscription, crée en 2017, un outil pour tenter de faire vivre la démocratie participative localement, quand je vais conduire ma mission je vais consulter tous les acteurs qui peuvent présenter un intérêt, y compris les cabinets de conseil si c’est pertinent. Etat des lieux, diagnostic, propositions pour améliorer et sécuriser le dispositif de l’état notamment dans ses fonctions régaliennes. Nous n’avons pas de délai, l’idéal serait de terminer cette mission pour septembre 2021. On peut aussi faire des rapports d’étape.
En finir avec la bureaucratie?
JL Est-ce qu’on va en finir avec la bureaucratie dénoncée par tous les partis politiques let très critiquée par les citoyens actuellement? Pourquoi la réforme de l’état annoncée comme prioritaire par l’actuel gouvernement n’a-telle pas eu lieu?
VL Je crois que la simplification dont chacun parle, dont chaque parti politique parle, dont chaque Président ou candidat à la Présidence de la République parle, dont chaque élu parle, se heurte à une vraie difficulté face à une administration omniprésente, enfermée dans un carcan réglementaire par des directives et des règlements qui quelquefois se contredisent, entre plusieurs ministères, plusieurs codes. Un exemple évoqué par un maire. Une disposition demande à ce que l’élagage des haies soient faits pour permettre le passage de la fibre aérienne partout. Mais d’autres textes interdisent l’élagage à certaines périodes, et dans certaines conditions. Il faut diminuer nos codes, le nombre de règlements, il faut rapprocher les citoyens de l’état, faire revivre la confiance entre les citoyens et l’état et ce n’est que par une simplification que l’on y arrivera. Il faut diminuer les tâches des fonctionnaires dans les ministères , à qui on impose des tas de compte-rendus, avec des superpositions de niveaux. Je plaide par exemple pour supprimer les Agences Régionales de Santé (ARS), qui ont contribué à dresser des étages supplémentaires entre les personnes de la santé sur le terrain et le Ministère, la liaison avec départements, les Préfectures. Je pense que la Mission d’information que je vais présider suscitera un vrai intérêt pour le sujet.