Utopiamaker : https://www.utopiamaker.com

Utopiamaker ou les données du don

Janique Laudouar
5 min readAug 14, 2020

Utopiamaker permet d’expérimenter “l’inclusion inversée”, faite par les gens pour les gens et surtout de collecter et conserver un registre documenté de l’entraide. Les données du don, une alternative dynamique à l’assistanat

Une utopie pour aujourd’hui

« Le progrès est la réalisation d’utopies » annonce une citation d’Oscar Wilde sur le site d’Utopiamaker. Faiseur d’utopie, telle est la vocation de Philippe Parmentier après une carrière d’entrepreneur dans l’informatique. Tout commence en Colombie en 2013. Plutôt que passer par le don ou l’aide humanitaire, il fait le pari de rendre acteurs, « makers », des handicapés. Un jeune garçon amputé lors d’un accident de travail va apprendre à faire sa propre prothèse grâce à une imprimante 3D. « Un enfant, ça grandit, il faut savoir faire évoluer la prothèse ». Un acte concret fondateur qui donnera lieu à un concept « l’inclusion inversée » qui permet à une population considérée comme exclue d’ acquérir la connaissance et la technologie qui lui sont nécessaires afin d’acquérir son autonomie et devenir elle-même un transmetteur d’information au plus grand nombre ». Philippe Parmentier et son partenaire Guy Kastenbaum ont créé l’association R&D 3D en 2013 en France et la “fundación Materializaciòn 3D” en Colombie (et à Madrid) en 2014. Puis l’association Utopiamaker à Marseille en 2018.
Dans leur actualité 2020: pendant le plus fort de la pandémie les makers

David Kohn et Christian Muniz arrivent à convertir des masques plongées en respirateurs pour le Covid-19 et fournissent la documentation en open source.Pas seulement livrer un objet, mais intervenir sur le design de cet objet avec conséquence sur l’amélioration du traitement. Bien entendu l’initiative sera exploitée par d’autres…

Réseau et entraide

Les premières réussites en Colombie se sont métamorphosé en ce qui est maintenant un réseau international avec plus de 20 pays inscrits, 237 membres, 18 langues parlées — dont le chinois. Les projets de prothèses DIY « Do it yourself » et les fichiers 3D de prothèses personnalisées sont téléchargés en nombre. Si la fabrication de prothèses est maintenue, le projet s’est élargi. Il s’agit maintenant d’un dispositif en organisation de pair à pair, où chacun va exprimer ses besoins, va « proposer librement ses projets », va donner de son temps pour un projet auquel il adhère. Tout type de projet social est bienvenu, quand il semble essentiel au point d’y consacrer du temps. C’est un moteur pour déclencher un échange libre de services à l’opposé de l’aliénation travail, de la compétition, de la prise de pouvoir. « Pour éviter le chaos social, il faut développer une culture de l’entraide » soutient Pablo Sévigné dans son ouvrage « L’entraide, l’autre loi de la jungle » co-écrit avec Gauthier Chapelle (Les Liens qui libèrent, 2019). L’object d’Utopiamaker rejoint celui des « Communs », régulièrement observés et commentés par Michel Bauwens, économiste fondateur du pair à pair et de la P2P Fondation.

Comment ça marche?

D’abord décontenancée par le dispositif, je me suis plongée dans le mode d’emploi, très bien expliqué sur le site et dans le guide 2020. Le dialogue implique deux acteurs, selon le principe du P2P, pair à pair, celui qui donne et celui qui reçoit. La “monnaie d’échange » est le « temps social » qu’on donne et qu’on reçoit. Les « dons »sont divisés en 3 catégories : le don financier, les dons de temps à projet, les services ou partage entre membres.

Philippe Parmentier, Paris 2020

« Jamais rien de pyramidal » dit Philippe Parmentier parlant des 18 “vice-présidents”, une direction collégiale qui fait fonctionner Utopiamaker. On peut copier et télécharger, et même commercialiser un projet, mais le commercialiser en exclusivité est interdit. Pour comprendre le dispositif, lire les témoignages dans le livret que vient de publier Utopiamaker : Anomie81 colombiennne, qui marche avec une prothèse et raconte comment à son arrivée à Paris, ce sont les préjugés liés à son pays d’origine et son handicap qui lui ont barré la route plus que le handicap lui-même. Une formation d’ingénieur pour Pi RAT pour créer ses propres prothèses et transmettre ses connaissances. Mais l’échange ne se limite pas au handicap : on peut avoir besoin des autres pour mieux comprendre où on en est, ce qu’on veut. Pour mieux appréhender le profil des makers et leur expertise, visiter la page consacrée au registre des échanges : enseignante, cuisinier, physiothérapeute, ingénieur. Leur offre : informatique, écoute, conversation, éducation complice, accompagnement, voyages, mécanique, aide administrative. « Partager, ça donne des idées » nous dit Philippe Parmentier.

Les données d’Utopiamaker

« Comment mesurer ce qui compte vraiment? » est une question qu’ont commencé à se poser les entreprises plusieurs années. La véritable originalité d’Utopiamaker réside dans la volonté de documenter la démarche de chaque personne et de constituer un outil ouvert exceptionnel où chaque projet est enregistré dans une base, « registre des échanges » qui par la suite seront sous blockchain. « Pour moi les données ont remplacé l’argent » nous dit Philippe Parmentier. Créer un outil de documentation ouvert sur la façon dont sont utilisés le temps social et les dons, c’est faire le pari que conserver nos données, quand on crée l’outil pour le faire, est possible. L’ “économie du don” c’est une économie réelle dont on ne tient sans doute pas assez compte. De façon assez amusante Jean-François Noubel illustre l’économie du don sur son site en listant quels services il aimerait avoir plutôt que de l’argent, avec une bande schtroumpfs à l’oeuvre dans son jardin.

Aujourd’hui les états ne semblent connaître qu’une méthode : balancer l’argent public de façon de plus en plus vertigineuse, sans trop se soucier du poids à venir pour les générations futures. On voit immédiatement quelle richesse humaine et économique on peut tirer des données collectées par Utopiamaker, quels constats sociaux et politiques. Plutôt que saupoudrer de l’assistanat toujours insuffisant et insatisfaisant, moyen «d’acheter la paix sociale » et échec de plus en plus évident. Utopiamaker permet d’expérimenter d’autres solutions faites par les gens pour les gens. Utiliser les ressources de l’intelligence collective avec une population motivée, faire la preuve de l’efficacité de cette « culture de l’entraide » peut venir alléger le poids des « aides publiques ». Et en offrant à chacun l’opportunité de donner un sens à sa vie, alléger le poids de la rancoeur et de la colère. « Apprendre et produire ensemble pour la communauté et devenir irremplaçables les uns pour les autres »

Janique Laudouar

Pour se procurer le guide Utopiamaker 2020 s’inscrire sur https://fr.utopiamaker.com

Sur Medium : Philippe Parmentier a publié plusieurs articles dont Qu’est-ce que l’inclusion inversée?

--

--

Janique Laudouar
Janique Laudouar

Written by Janique Laudouar

Human relationships. Prospective, future, innovation. Democratie, Collaboratif, participatif, partage. Lanceuse d’alerte. Le Blog de la Ménagère@PoliticMenage

No responses yet