La start-up nation est encore loin…
Arrivée en retard à la librairie des Nouveautés au lancement à Paris de “Start-up Nation, Overdose Bullshit” d’Arthur de Grave, j’ai manqué la présentation de Vincent Edin directeur de la collection “Incisives” aux éditions de Rue de l‘Echiquier. Mais Arthur était là, j’ai eu une charmante dédicace. Une bonne nouvelle : lecteur, ce pamphlet n’est pas écrit pour les experts, les entrepreneurs ou l’élite, il s’adresse à TOI !
Ce livre s’adresse à vous !
Ce qu’il y a de remarquable dans le ton adopté par Arthur de Grave pour son pamphlet « Start-up nation Overdose bullshit » c’est qu’il s’adresse directement au lecteur, à vous, à moi, à nous, quoi! De « gauche » comme de « droite », si tant est que ces notions perdurent encore…A tous ceux qui expérimentent le léger décalage entre les flamboyantes annonces, transformer la France de demain en start-up innovante, «entreprenante, volontaire, agile, ouverte à la mondialisation, compétitive, pragmatique, technophile » et ce que nous vivons quotidiennement. Galérer pour obtenir une carte grise en ligne, ou rager devant la réponse langue de bois d’un sous-préfet, s’exaspérer devant « la politique des petits pas suivie depuis dix ans par la sympathique équipe d’Etalab. « Accompagner les administrations dans l’usage des datasciences », non mais je rêve ! Essayez d’obtenir les « data » du budget local d’une collectivité! Ou plus grave encore constater le large refus du monde agricole de changer de logiciel et de cesser d’inonder de pesticides à quelques mètres des habitations et des cours d’eau avec la bénédiction des services de l ’état. Ce petit ouvrage dont on espère qu’il deviendra culte est une salutaire entreprise de démystification du «en même temps ». Non on ne peut pas « en même temps » annoncer depuis des années la modernité, quelque soit le régime politique au pouvoir, et « en même temps » toujours hésiter à le faire vraiment. Complaire au conservatisme de certains élus locaux pour s’assurer de leur vote et porter aux nues les futurs startupers freinés par ceux-là même qui devraient les soutenir. Ne jetons pas l’opprobre sur l’actuelle gouvernance. Avoir toujours dix ans de retard sur la société civile, est une constante de l’Etat que Le Blog de la Ménagère observe depuis 12 ans. Ce blog a commencé en 2007, l’année où la « RGPP » (révision générale des politiques publiques) nous rappelle l’auteur, fut lancé par Nicolas Sarkozy, suivi sous François Hollande d’une entité « modernité » de l’état aussi timorée que les précédentes…
Une start-up, qu’est ce que c’est?
Paradoxalement ce pamphlet est aussi mode d’emploi pour les futurs startupers ou services de l’état qui veulent le devenir. « Une start-up, c’est une entreprise qui a été fondée dans un garage. » Hors s’il y a bien une chose que les autorités locales, en particulier rurales, détestent, c’est « l’innovation de garage ». Les Régions, puis récemment les Communautés de Commune, veulent avoir le monopole de l’innovation. Ils la tolèrent uniquement de la part des élus patentés qui ont droit aux subventions de l‘Europe , mais pas aux petits génies qui ont concocté un projet dans leur cabane de jardin. Non il y a toujours eu des services d’état labellisés « innovation », l’innovation en France a été longtemps« chasse gardée. » Je l’ai expérimenté moi-même en proposant des expositions d’art numérique avec Artank il y a 15 ans à un Conseil Départemental rural qui en était resté en matière d’art et culture aux concerts de musique classique …il n’y avait même pas l’expertise pour juger du projet !
Un chapitre documenté est consacré aux «Start-ups nations : tour du monde ». Quelques exemples venus d’ailleurs : Israël et le service militaire obligatoire qui pour les plus doués « va mettre les jouets technologiques les plus pointus » dans les mains des jeunes sélectionnés. L’Estonie « itinéraire de l’URSS à l’e-nation ». Le pays qui a « accouché de Skype » et d’autres. Et la Silicon Valley »?
“Copier la Silicon Valley d’aujourd’hui est une politique dangereuse et myope. Silicon Valley existe en raison des niveaux massifs de R & D financés par l’état au cours des décennies, ce qui a été rendu possible par des niveaux d’imposition élevés.” nous dit Paddy Cosgrave, fondateur du Web Summit qui aura lieu comme chaque année à Lisbonne du 4 au 7 novembre. Lui privilégie les “bootstrapped” start-ups, les fondateurs qui commencent sans rien du tout, zéro financement sauf leurs économies. « Les conditions de travail dans les entrepôts géants d’Amazon, on n’est pas loin de Germinal”, Arthur est un peu sévère pour Jeff Bezos le boss. Parmi les personnages on pourrait citer aussi Peter Thiel co-fondateur de PayPal et autres start-ups à succès, et son formidable projet de faire sécession en imaginant une cité flottante sur les côtes de Californie. Ce libertairien inclassable (conseiller de Donald Trump) est typique de ces profils hors norme de la Silicon Valley. Mais peut-on imaginer ce profil de freak dans une de nos administrations, qui détestent les électrons libres? A souligner Jeff Bezos a longtemps roulé dans une vieille voiture et l’argent ne l’intéresse pas vraiment comme d’ailleurs les autres milliardaires US, qui presque tous ont des fondations ou des projets visionnaires, l’espace ou à la vitesse. Où sont nos visionnaires d’état?
Combien de nos services administratifs ont suivi le moto des débuts de Facebook « Move fast and break things »? Bercy, peut-être, un des premiers à proposer en service en ligne efficace pour déclarer et payer ses impôts, avec toujours dans l’esprit l’accompagnement de l’utilisateur. Car aller vite est un enjeu majeur dans le monde des start-ups. L’Etat est-il capable d’aller vite? « Pas de bouton « avance rapide » pour l’état nous rappelle Arthur. Il faut du temps et du financement. Parmi les principes fondateurs d’une start-up qui veut lever des fonds, Arthur de Grave rappelle” Feins avant de faire » est une stratégie classique venue de US, mimer la réussite permet d’attendre les fonds. « Hélas, 9 start-ups sur 10 n’y survivront pas, car on bout du compte le « principe de réalité » les rattrape. Et la French Tech, écosystème des start-ups en France, ne pourra pas les sauver. Un peu la même chose pour la start-up nation, non?
Ce livre est aussi pour vous, startupers qui devez vous endurcir face à l’impitoyable marché mondial, et dans votre vie privée vous exercer à ne pas sombrer dans le stakhanovisme new style. Quand à nous, citoyens lambda, nous avons l’occasion de nous initier à la « lingua franca » VIP du milieu, à son langage franglais et ses plus célèbres slogans à citer dans les dîners.
La propagande
On notera, si on ne le sait déjà qu’Arthur de Grave et Diana Filippova ont été les pionniers avec d’autres à observer et encourager l’économie de partage avec Ouishare et ses mémorables évènements OuishareFest.
Un autre génial petit ouvrage collectif coordonné par Diana Filippova « Société collaborative, la fin des hiérarchies» (Ouishare, 2016,éditions rue de l’Echiquier) en atteste ainsi que de nombreux écrits du magazine Ouishare. Hélas, non, nos admnistrations et trop souvent nos entreprises sont loin de voir « la fin des hiérarchies » Le collectif Ouishare a été l’un des premiers à constater que l’économie « collaborative » s’ubérisait chaque année davantage avec des conditions de travail inacceptables pour les salariés. Payés sans contrat de travail et à la course, ou subissant le stress de l’open-space en entreprise , « dans les open-space, les co-working et les incubateurs, la vie n’est pas toujours rose » constate l’auteur dès l’avant-propos. Au Burn out est venu s’ajouter le Brown out, le blues développé par les salariés quand le travail n’a plus de sens, même avec la bière à volonté et la salle de gym dans les bureaux. Vendre du “bullshit », pas toujours facile.
Stroïka, “agence de propagande” est le nouveau bébé de cette charismatique équipe (Antonin Léonard, co-fondateur de Stroïka, Edwin Mootoosamy ex Ouishare est peut-être aussi dans le coup) qui garantit un service 100% no bullshit avec des clients qui font confiance à ces audacieux qui osent rompre avec le discours ambiant. Et là oui, on respire. Une start-up sans mensonge est donc possible ? Du marketing sincère? Longue vie, donc à cette entreprise.
Car nous sommes conditionnés, envahis, abattus par tous les mensonges de la publicité , des marques et pire encore par les mensonges d’état. Une barrière de passage à niveau s’ouvre alors qu’elle aurait du être fermée, tuant des enfants dans un bus scolaire, la faute de la conductrice, mais surtout pas de la SNCF, service public. Une épaisse fumée intoxique habitants et animaux , rend les cultures impropres à la consommation (Incendie site Seveso Rouen) « Rien craindre » s’empresse le Préfet. Mais plus généralement, on nous fait toujours miroiter cet horizon de la croissance comme objectif suprême à atteindre sans prendre en compte ou si peu toutes les initiatives de la société civile qui vont dans le sens contraire, de la sobriété heureuse à la démocratie participative portée par la civic tech, des manifestations des jeunes conscients de l’effondrement possible si nous continuons dans cette voie. Sans compter les inégalités croissantes chiffres à l’appui. Le « ruissellement” annoncé, les riches vont arroser les pauvres, on n’y croit plus. Même le « numérique » qui nous a tant enchanté parce que synomyme de liberté et prise de parole est devenu pesant. Pour Eric Guichard interrogé par Ouishare Magazine. “On vit dans un monde où le numérique est associé à un ensemble de mythes. Plus rapide, plus simple, plus fiable… Et on adhère à la plupart de ces rêves mensongers. »
“Le Bien Commun, le Bien Commun! Il faut ancrer vos productions dans les communs” martelait en conclusion Yochai Benkler (Harvard) lors de OuishareFest 2016. Et c’est Ouishare Magazine qui nous propose une piste celle des communs, entretien ((Solène Manouvrier)avec Michel Bauwens, économiste, auteur de « Sauver le monde », fondateur du pair à pair, P2P et de nombreuses publications et interventions sur « les communs »
Le courage est ce qui manque en politique.
« L’idée de ce livre était non seulement de poser un diagnostic mais également de montrer que se dessaisir du courage est un mauvais calcul puisque le coût de la lâcheté est bien supérieur à celui du courage. » nous dit Cynthia Fleury, philosophe lors d’un entretien avec l’université de Genève à propos de son livre “La fin du courage” (Fayard,2010). Le courage, c’est ce qui manque en politique. Le pamphlet d’Arthur n’est pas seulement drôle et réjouissant, il est aussi courageux. Car il ne fait pas bon s’opposer à la pensée unique en France. Réformer la France, oui, mais conserver ses électeurs. L’électoralisme pointe en filigrane derrière toutes les décisions des « élus » «oeuvrant pour notre bien malgré nous. Avec des revirements inquiétants (retour aux 90km/h contre l’avis de la Sécurité Routière pour plaire aux territoires et s’assurer leur vote), des lenteurs dénoncés par tous, la Justice venant en tête avec ses procès qui durent plus de dix ans, les mensonges d’état à peine déguisés que les Préfets ou les Procureurs ont parfois le lourd devoir de colporter. Hors pour que la start-up nation existe, il faudrait que les élus n’aient pas peur de perdre leur voiture avec chauffeur, que les collectivités territoriales arrêtent de gaspiller l’argent public à grands coups de ronds-points et de bâtiments ruineux à leur gloire, que les fonds structurels européens aillent aussi aux habitants et pas seulement aux “structures”, que les fonctionnaires osent braver leur hiérarchie. Bref, vous saurez compris la start-up nation est encore loin, elle n’a pas encore tout à fait franchi le stade du discours.
La conclusion d’Arhur de Grave est mordante mais tellement bien vue : “Et notre tradition, c’est de copier avec diligence ce qui s’est fait ailleurs, quand l’histoire a prouvé que ça ne pouvait pas marcher”.
Start-up Nation Overdose Bullshit Editions Rue de l’Echiquier 2019 10 euros
A lire aussi ce qu’en dit Hubert Guillaud https://www.facebook.com/notes/hubert-guillaud/start-up-overdose-/10157524719009910/