“La Haine” (1995) Film de Mathieu Kassovitz Studio Canal Plus

La colère et les milliards perdus de la République

Janique Laudouar

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« C’est l’Apocalypse » : témoignage d’un policier le dimanche 2 juillet 2023

Les français ne se sentent plus représentés, ni par les élus, ni par le gouvernement qui refuse la réalité et ne les protège plus. Il est temps d’en prendre acte si on veut mettre fin à l’enfer qui se répand sur la France.

Face à la violence : « Des mots, des mots, des mots »

« Intolérable ,injustifiable, inacceptable », toujours les mêmes mots face aux mêmes faits, depuis des années. « Arrêtons avec les mots ! » bondit le maire Ludovic Toro face au discours lénifiant de l’exécutif non suivi d’actes. Ce serait une erreur de croire que la colère se limite aux “quartiers “ quand la France vient de défiler pendant des mois au printemps pour s’opposer aux décisions du gouvernement. « Pour l’intersyndicale, le gouvernement « est resté sourd à cette volonté populaire et l’incompréhension a laissé place à l’indignation, ainsi qu’à la colère ». (csematin 9/05/2023). La colère devient donc le sentiment dominant des français face au « système ». Et risque de s’accentuer avec les pillages des commerces saccagés, qui ont déjà subi tant d’épreuves L’utilisation du 49.3 a accelerer « la crise démocratique et sociale et provoque un risque d’explosion sociale ». « En mars 2023 82% des français estiment qu’Emmanuel Macron doit recevoir les syndicats de salariés (L’Opinion en direct mené par l’institut Elabe pour BFMTV, 11 3 2023) et pourtant le Président passe outre. Le déluge législatif continue. Le « J’ai décidé » présidentiel devient la norme.

Une explosion attendue

Cette « explosion » est donc tout sauf surprenante, elle était attendue. La colère nait de la non écoute des français. A fortiori dans les banlieues où de précédentes crises auraient du alerter. Le film culte La Haine de Mathieu Kassovitz sorti en 1995 ans décrivait parfaitement l’impossible communication entre ces « jeunes des banlieues » et la société. Le philosophe Jean-Loup Bonamy dénonce « l’inertie des pouvoirs publics qui, selon lui, répètent les mêmes erreurs ». (Le Figaro 30/06/2023 ). Il énumère les crises similaires de « Vaulx-en-Velin en 1979 » jusqu’à 2005 où les causes de l’embrasement étaient les mêmes, mort de deux jeunes, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un local de Clichy sous Bois où ils s’étaient réfugiés par peur de la police. »Les violences urbaines survenues à la suite de la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier, sont les dernières d’une longue série, qui dure depuis 30 ans. »
Ce qui frappe c’est la médiatisation extrême de ces morts de jeunes suivies de violences urbaines. Ainsi Assa Traoré n’aura de cesse de poursuivre une croisade médiatique pour exiger justice pour la mort de son frère Adama Traoré en juillet 2016 à la gendarmerie de Persan (Val d’OIse )» Le refus de montrer ses papiers est à l’origine d’une poursuite qui se termine mal. #JusticePourAdama #GenerationAdama L’affaire Adama Traoré mobilise la Justice depuis des années et donne lieu à une impressionnante série d’expertises. A noter que si 60% des émeutiers étaient ignorés des services de police beaucoup étaient identifiés pour des délits antérieurs, d’où le refus d’obtempérer source de drames.

Mairie de Persan brûlée lors des manifestations de. Juin 2023

La colère

Quand je regarde les images de la jolie mairie de Persan, ses murs en chaux et ses encadrements de fenêtre en brique, le commissariat qui venait d’être rénové ,noircis par le feu je ne peux qu’être désolée en voyant les dégâts. Et pourtant, derrière la jolie façade la colère des habitants s’exprime face à une vie quotidienne difficile « En colère, les parents d’élèves bloquent le collège de Persan :Le collège Georges-Brassens de Persan (Val-d’Oise) a été bloqué par les parents d’élèves. Ils dénoncent le sureffectif dans les classes et la hausse des comportements violents. » Et n’est-ce pas à la gendarmerie de Persan qu’Adama Traoré a trouvé la mort? Les bâtiments publics évoquent alors un tout autre ressenti.

La colère vient du décalage entre le train de vie des « élites » et une vie quotidienne des français traversée par les grèves SNCF, les dysfonctionnements du métro et des RER, les carences du système de santé, de l’éducation. Les français étouffent sous une bureaucratie croissante et des services publics défaillants. Ce « maillage territorial » est une illusion de l’élite politique, un paravent où l’argent public se dissout dans des dizaines de guichets, commissions, services de l’état et des instances territoriales dont l’efficacité est inégale. On attend encore la « simplification » qui n’a jamais eu lieu. « Un état soviétique » dira la maire de Taverny Florence Portelli face aux méandres administratifs de la justice et de la police. Conserver un « système » archaïque à tout prix contre la volonté des français est l’erreur majeure des politiques.

Les milliards perdus de la République

« Au total, ce sont plus de 200 milliards d’euros qui ont été dépensés pour la Politique de la ville, ces quarante dernières années. Pour quels résultats ? (Site de l’ Assemblée nationale )
Envolés, gâchés, perdus les milliards de la République. La politique de la ville est un échec et pourtant les coûts annuels atteignent 37 Mds€ . Les violences de juin 2023 signent la fin de l’illusion qu’on peut « acheter » la paix sociale en multipliant les chèques et les milliards. Les habitants des banlieues, comme les Gilets Jaunes, demandent autre chose que de l’argent. Oui, les symboles de la République sont visés car ce n’est pas, ce n’est plus leur République. La lâcheté des politiques est de refuser de regarder cette réalité en face.Les carcasses de voitures brûlées, les immeubles détruits, les élus agressés, là, on ne peut plusse contenter de déverser davantage de milliards, les français ne comprendraient pas qu’on continue à dépenser en vain l’argent public. Objectif “niquer le plan 93 Grand Paris » et le commissariat de Saint-Denis”peut-on lire sur le mobile du Hamad (Bondyblog). « Nous ne paierons pas » annonce une habitante à la maire de sa commune « nous ne reconstruirons pas » . Le Sénat a proposé la création d’une commission d’enquête sur le coût et les résultats de la politique de la ville, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4140_proposition-resolution Que les politiques continuent à en appeler à « l’ordre républicain » quand il est à ce point honni et combattu, c’est un contresens.

D’autant plus que le choix des équipements urbains est trop souvent opéré sans consultation par des élus épris de bâti et de béton, de tronçons d’autoroute et de rond points dont le nombre excessif a été dénoncé par Mathieu Pigasse (“Eloge de l’anormalité”) .Les « Soulèvements de la terre» décriés et dissous par l’exécutif ont été des signes avant-coureurs. Mettre en oeuvre en 2023 une décision votée par un département dix ans plus tôt et qui ne correspond plus à l’époque est une absurdité à laquelle il faut mettre fin.J’en ai un exemple dans mon village où le département n’a pas remis en cause une déviation votée il y a 10 ans et contestée. Solution : il faut systématiquement réévaluer les budgets votés. Certes, des Pôles de Santé ont vu le jour, et nombre d’élus sont consciencieux et méritants. Mais ils sont aussi perçus comme une « baronnie locale », élus parfois de père en fils, cumulant les pouvoirs locaux. On peut douter de la capacité des médias à décrypter ce que disent les français : non, les français ne se sentent plus représentés, ni par les élus, ni par le gouvernement qui refuse la réalité et ne les protège plus. Il est temps d’en prendre acte si on veut mettre fin à l’enfer qui se répand sur la France.

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Janique Laudouar

Human relationships. Prospective, future, innovation. Democratie, Collaboratif, participatif, partage. Lanceuse d’alerte. Le Blog de la Ménagère@PoliticMenage